mercredi 2 novembre 2016

Disent-ils?


 

 

Elle dit, de Yannick Kujawa est avant tout l'histoire d'une transmission et d'une écoute. La transmission d'une mère, l'écoute d'un fils,  dans une tentative d'éclaircissement historial de l'intime, de re-saisissement de soi et de quelques autres dans le grand fleuve de l'usure du temps, de l'oubli. Elle dit, est aussi le titre d'une modestie. Un titre volontairement inapproprié où l'auteur ne laisse momentanément entrevoir que la main blanche du scribe alors même que le travail d'écriture excèdera le seul champ de la transcription du dire. Elle dit, est incontestablement une re-naissance, celle de la voix du fils-écrivain qui vient faire sienne et autre la voix de la mère. L'autofiction existentielle de la mère qui se dit, qui se donne et fait matière à un dépassement de ses impasses par l'autre voie, par l'entremise du fils passeur, celle de l'écrit. L'écrit, la voix. Est-ce cela un écrivain, un tripatouilleur de voix qui ne se satisfait pas de les entendre et qui cherche, géomètre de scansions nouvelles, d'autres résonnances propres à enrichir la seule palette de l'existant, comme une modestie définitive où l'ex-sistence nous tient reclus?

mardi 18 octobre 2016

Par la littérature, humaine.

 


Pour qui suit avec attention la construction de l'œuvre littéraire de Bertrand Leclair, il est aisé d'y apprécier la richesse des variations autour du thème de la condition humaine. Pour qui exerce son regard sur cette condition avec l'œil de la psychanalyse, il n'échappera pas que le travail littéraire de cette œuvre excelle, tout autant voire mieux que la conceptualité analytique, à en saisir toute la complexité.

Par la ville, hostile est à cet égard un véritable coup de génie tant l'exercice d'imagination déploie avec justesse l'interaction (qui échappe trop souvent aux littératures contemporaines) des champs de la subjectivité individuelle et du politique.

Une voix, celle d'une femme (1) désormais  recluse dans le déni de toute mondanéité possible, dans une ville-monde qui fabrique cette hostilité-là, ce soi en colère qui ne s'appartient plus, qui s'entend ne plus vouloir s'appartenir, qui se crache. Une voix, portée par la magie du style de Bertrand Leclair, lancinante, pulsionnelle, prise dans l'obsession de la disparition. Une voix qui trame un écho de peur dans les consciences affaiblies, une voix-fantôme qui hante les fantasmagories délétères, celles qui fabriquent un monde hostile à lui-même.

 

(1) Quatrième de couverture:


Ce qui lui fait peur, c’est cette violence folle que ses fils peuvent libérer à l’extérieur, d’une seconde à l’autre, métamorphosés, bouffis de haine, à terroriser tout le quartier. La violence… Depuis quand? Voilà une question qui l’agite, tout au fond d’elle-même, là où elle ne peut pas empêcher que les mots soient encore un peu vivants. Depuis quand, elle a peur de la violence de ses garçons? Depuis quand, tout est parti en vrille?

Une femme est seule chez elle, immobile sur un fauteuil, dans un appartement presque vide. Plus de rideaux aux fenêtres, plus de télé, plus de canapé. Elle attend qu’on vienne la jeter dehors.
Puisqu’on va l’expulser. Elle le sait et elle ne veut pas, le savoir. Elle voudrait juste chasser les mots, ne plus penser, et surtout pas à ses deux enfants qu’elle ne va plus jamais voir, au parloir de la prison. Elle ne leur a rien dit de l’expulsion qui se prépare, ultime conséquence de leur condamnation pour trafic de drogue…
   


 

mardi 20 septembre 2016

Pause déjeuner



Chantal Mulligan et Michel Gros Dumaine
 
 
 

(Appel au 05 75 12 34 35 - 13 heures 08)

 

C’est peut-être parce que la voix de mon GPS ressemble à celle

de ma mère. C’est peut-être ça. Elle me dit « à gauche » et c’est

plus fort que moi, comme si toutes les forces cosmiques me

poussaient à droite, tu vois ?

A droite, oui, j’ai pris à droite… et puis après, à droite aussi,

ensuite à gauche, puis tout droit, à droite, à gauche, je ne sais plus,

c’était jamais dans le bon sens, jamais dans la bonne direction, j’ai

cru devenir fou.

J’en sais rien. Je ne sais plus sur quelle bretelle d’autoroute j’ai

fini par m’engager. Mais à l’entrée du village, ma mère n’arrêtait pas

de m’engueuler dans les enceintes : « Demi-tour ! Demi-tour ! »

Elle m’épuise, elle m’a toujours épuisé. J’étais épuisé, tu

comprends ?

J’ai coupé le moteur.

Non, pas sur la bretelle d’autoroute, à l’entrée du village, enfin,

un peu plus loin que l’entrée, je me suis garé sur la place.

Aucune idée.

Le village a un nom qui se termine par « euil » ou par « eille »

Non, je ne regardais pas mon GPS. Quand je conduis, je regarde

la route.

Les panneaux de signalisation, j’aurais réussi à les déchiffrer si je

n’avais pas oublié mes nouvelles lunettes sur ton bureau.

Ben non, j’y suis pas. Remarque, si j’y étais, je ne t’aurais pas

appelé pour te dire que j’y suis pas.

J’ai déjeuné dans un bistrot du village.

Un problème ?

Non, je parle au patron. Il n’accepte pas la Carte Bleue. Attends.

Marc, je crois qu’on a un souci avec l’addition, je te rappelle.

 

 

 (Appel du 06 76 13 35 36. 13 heures 09)

 

Mais qu’est-ce tu glandes, ça fait deux heures que j’attends ton

appel ? T’es encore paumé malgré le GPS qui m’a coûté une

fortune pour soigner ton sens merdique de l’orientation !

Lâche-moi avec ta mère, tu veux ? Le seul tort qu’elle ait eu

c’est de te concevoir handicapé. T’es pas foutu de reconnaître ta

droite de ta gauche ? T’as bien pris à droite après la sortie de

l’autoroute ?

T’as pris la bonne sortie au moins ?

Bon, laisse tomber ta mère, elle te TOC ! Arrête-toi et coupe le

moteur.

Pas sur la bretelle d’autoroute, j’espère !

Une place. Ok, ok et il s’appelle comment ton village avec sa

place ?

Comment ça aucune idée, il n’a pas de nom ton bled, il n’a pas

de panneau non plus, tu sais celui qui se trouve la plupart du

temps à l’entrée pour renseigner les paumés de ton acabit ?

Oh ! Epargne-moi ta méthode syllabique ! T’as regardé MON

GPS au moins ?

Et évidemment, t’as pas lu le panneau.

Donc, tu n’es pas à l’auberge du Faisan bleu ?

Bon alors tu es où maintenant ?

Tu picoles déjà ?

Oui, c’est un problème. Tu le sais mieux que moi et tu veux que

je te dise…

Si tu crois que j’ai que ça à faire !

On a ? Mais c’est toi qui a un souci. C’est ça, rapp…

dimanche 11 septembre 2016

Legato

 
 

Préambule.
 
Le trois juillet mil neuf cent cinquante deux à dix neuf heures trente est né quai de la Charente le premier garçon d’une famille en construction, reconnu par le père selon déclaration du quatre juillet mil neuf cent cinquante deux à dix heures et qui lecture faite, a signé avec Nous Pierre B., chevalier de la légion d’honneur, adjoint au Maire, officier de l’Etat Civil, par délégation.

Voilà donc, pour moi qui suis désormais être-là, une bonne chose de faite. Un réel bien estampillé, incontestable. Un état de fait irréversible. Un prélude destinal. Glissera-t-il peinard vers la fin d’un siècle déjà bien entamé ? Cela reste à voir. Car pour l’heure, lecteur pressé de tourner la page, l’acte d’officialisation de ma présence dans notre monde n’offre aucune certitude en ce sens. Pas plus d’ailleurs qu’il ne fait acte à penser que ce fut une fête, qu’il y avait là de la joie, que surgissait un miracle nouveau venu transcender celui des Trente Glorieuses où se tenait béate et travailleuse la génération de mes géniteurs (et des tiens, non ?).

mardi 7 juin 2016

L'écrivain au dédale.


 
Saurais-je dire pourquoi me vient cette idée qui consiste à penser que Lionel-Edouard Martin avec Icare au labyrinthe travaille la langue comme le laboureur sa terre, que le lecteur y est convoqué comme une sorte d'arpète qui l'accompagne sur les territoires oubliés de la littérature?

Cette phrase lame: Le monde, c'est la langue. viendrait-elle faire caution d'un projet de renouvellement de l'usage des mots, d'une mise en œuvre des interstices de la langue par où s'engagerait la nécessité d'un meurtre au bénéfice de la littérature elle-même, du monde?

C'est là que Palombine, géniale, à l'instar de l'analyste inculte par obligation, est venue occuper la place du mort, fiction de la fiction propice à la possibilité du style et du dit dans le dire de Lionel-Edouard Martin.

Palombine psychanalyste, sans divan, de la névrose des mots malgré la quête constante de leur improbable exactitude où s'acharne LioLio l'enfant perdu de Montmo.
 
- Mon mot, oui dites!

Et çà dit, çà s'accroche au souvenir, çà collectionne les lieux, les itinéraires comme un retour à une psychogéographie oubliée, çà rempli l'espace laissé vide par l'arbre mort et abattu, çà gronde la beauté du monde, çà dépèce le vivant, tripes et boyaux, çà rechigne au grand vide contemporain des arts et des lettres, çà mange, çà boit et çà s'achemine vers le meurtre de Palombine, l'analyste enfin déchet ou presque tant il reste à jamais des queux de transfert irrésolu dans la fiction analytique comme dans la fiction littéraire.

 
Que puis-je faire à présent?
Rien. Partir.
Et mourir seul, dans l'indifférence.
Pour te rejoindre, et mes fantômes.
- Pour te rejoindre, et mes fantômes.